Il était tard dans la nuit, alors que Shad restait assise devant son bureau, les mains jointes devant ses lèvres, les coudes posés sur les rebords. Elle se balançait nonchalamment dans son large fauteuil de cuir noir, en proie à une intense réflexion.
Son masque reposait à son côté, tandis que ses longs cheveux noirs ornaient ses épaules fatiguées.
Quelque part dans le désert de Tatooine, les cris des hommes des sables en pleine chasse résonnaient. Elle aimait cette planète autant qu’elle la détestait. Un amas de sable et de sang, peuplé d’esclaves, de sauvages et de criminels.
Mais il fallait le reconnaître. Cette planète avait quelque chose d’attrayant, un « je ne sais quoi » d’ancien, de secret. Et surtout, c’était une planète abandonnée de tous, à son image. L’endroit idéal pour bâtir sa forteresse, et ce qu’elle comptait y faire.
Elle lui donnerait l’aspect d’une résidence de noble, comme le voulaient ses origines, mais aussi l’intérêt de l’apparence. Personne ne s’attarderait sur ce genre de résidence, les riches avaient bien des lubies après tout.
Elle se redressa, et activa son datapad.
« Journal de bord de Shad, jour 322, neuvième mois
La construction est achevée. Je n’ai pas jugé bon d’en parler à mon apprenti. Depuis mon départ je n’ai aucune nouvelle de sa part, et j’ignore s’il a rejoint l’ancienne confrérie, ou s’il a fait le choix de me suivre. Il est plus malin qu’il ne le laisse paraître, et je ne sais pas ce qu’il cherche réellement à obtenir de moi, mon enseignement, ou mon amitié.
Il me devient de plus en plus difficile de l’accorder. Je suis aujourd’hui suffisamment abîmée pour savoir que nul n’en est digne. Je n’agirai dorénavant que pour le profit. En cela, on peut se fier, et savoir où aller. Ma colère me guide, cependant, je sais que l’observation est préférable à la passion.
Les commandes affluent chaque jour d’avantage. La guerre est excellente pour les affaires. Qu’ils s’entretuent, je n’en ai que faire, du moment qu’ils paient. Seuls les imbéciles meurent prématurément. Et plus nombreux seront les morts, plus il sera facile d’instaurer un ordre nouveau.
Je crains que ni la République ni l’Empire n’y trouvent véritablement leur compte, hormis ceux qui gouvernent l’un ou l’autre. Chacun tire son épingle du jeu. L’Empereur brille de par son absence, et pourtant, je reste convaincue qu’il sait parfaitement ce qu’il fait. Ne survivront que les plus forts.
Nous sommes tous semblables, involontairement. Nous ne sommes que des pions qui se cherchent une utilité. J’ai choisi d’être le plus imprévisible d’entre eux. L’immobilisme est contre nature, trop agir trouble l’ordre des choses. Aussi dois-je suivre mon cœur et mon instinct. Les Jedis ont renoncé à cette voie, renonçant par la même à leur condition naturelle. Les Siths ne la suivent que trop. Et cela aveugle leur jugement. Ainsi, ni l’un ni l’autre ne sont au final ce qu’ils sont vraiment. Des êtres pensant, raisonnant, libres. Mais encore et toujours des pions, des pions volontaires. Non. Aucune règle n’est à mon sens valable. L’univers n’a que faire des lois. Nous vivons une ère de chaos. Et je ne servirai que lui. Car seul le chaos produit un résultat.
Je pense prochainement prendre un second apprenti sous mon aile. Non par réel désir, mais plutôt pour le confronter à Thiz, et observer ce qu’il en résulte. La compétitivité est bonne pour la passion, pour la haine, mais aussi pour la compassion et la collaboration.
J’ai décidé de ne plus juger ni l’un, ni l’autre des enseignements que j’ai pu voir. Jedis, Siths, Révanites… Il n’y a pas de bien. Il n’y a pas de mal. Il n’y a que des actes et des conséquences.
Je souhaite laisser Thiz choisir sa voie, et mon second apprenti avec lui. Je ne l’orienterai pas, il sera seul responsable de ses actes. Je lui montrerai l’ombre et la lumière. Et il comprendra peut être que l’un et l’autre ne font qu’un. C’est ainsi que nous sommes. Et s’il en vient à me détrôner, je serais prête à l’accepter, sans pour autant baisser les bras un seul instant.
Je tuerai encore. Mais je ne servirai plus aveuglément une cause. Qu’importe ceux que je suis. Je les suis par intérêt. Et ils en font de même. A eux de juger si je les sers convenablement, dans ce qu’ils estiment juste. »
Shad se dirigea vers son coffre codé, y déposant le datapad dans le double fond prévu à cet effet, ou semblaient reposer plusieurs objets destinés à l’archivage de mémoires.
Puis elle sortit du bureau, s’appuyant au balcon, observant son domaine.
Ses yeux bleu gris se perdirent dans l’horizon ou une tempête se levait. Elle regarda longuement danser les volutes, formant des arabesques de sable et de vent. Tandis qu’au loin les deux étoiles de Tatooine émergeaient de cet océan désertique, tel deux soleils rougeoyants, elle se pencha, les observant. Puis murmura, à mi-voix :
« Bon sang. Ce que tu me manques, mon frère… » Avant de se diriger vers le couloir principal.
Sur le rebord du balcon venait de se déposer une goutte d’eau, sur une planète où il ne pleuvait presque jamais. La chaleur la fit rapidement disparaître.
Le temps a raison de tout.